Ces gens heureux...
Je n’aime pas les gens heureux. Ou plutôt, je n’aime pas les gens qui ont l’illusion d’être heureux. Oui, je sais vous allez me dire : mais qui suis-je pour être aussi présomptueux et m’octroyer ainsi le droit de penser que le sourire affiché que l’on peut lire sur leurs lèvres ne correspond pas à un état de bonheur mais davantage à un sentiment de bien-être : une espèce de sensation de bonheur, un ersatz de plénitude, une béatitude suspicieuse. N’avez-vous jamais remarqué par exemple cette vieille dame entrain de faire ses courses, tirant péniblement son cabas à roulettes, paraître tout simplement heureuse de faire ses courses. Il s’agit pourtant d’un acte banal, purement matériel à vocation purement fonctionnelle : celle d’acheter des denrées alimentaires afin de les ramener au foyer en vue de nourrir les organismes de sa petite famille. Mais pour elle, non, c’est plus que cela, quand elle va faire ses courses, elle est heureuse, et vit un moment agréable qu’elle ne raterait sous aucun prétexte. Quand elle arrive devant le stand de son boucher, elle parle du beau temps et déclare « Il fait froid, moi je dis de toute façon : il n’y a plus de saison ! » « Oh oui, ma p’tite dame, vous avez bien raison, y’a plus de saison…». Et voilà, elle a exprimé sa pensée et on l’a confortée dans son opinion. Elle peut repartir tranquille.
Ce sont ces gens-là qui me dérangent ! Rien ne m’insupporte plus que de voir des gens qui se contentent de pas grand-chose. Un jour, en regardant cette chère télévision, à qui je dois tout, une phrase de Jacques Brel m’a vraiment frappé, bien que ne connaissant guère le personnage à vrai dire. Son discours était plus ou moins le suivant (je me sers de cette pseudo citation pour donner du crédit à mes propos, je sais, c'est mal mais c'est du marketing) : pour lui, la bêtise pouvait s’apparenter à de la paresse. Quelqu’un de bête, c’était avant tout quelqu’un de paresseux, qui se contentait de peu de chose et qui se suffisait de ces petites choses et qui par conséquent ne cherchait pas à vouloir plus.
Cet extrait télévisuel m’a frappé et m’a fait réalisé à quel point, nous devions avoir cette exigence, nous êtres humains, d’exiger autre chose que la facilité. Qu’est-ce qui nous différencierait en effet du comportement animal autrement, sinon cette faculté à évoluer et à se projeter dans le futur.
Cette dame : elle fait ses courses, elle achète ses 2 côtes de porc de 125 grammes chacune qu’elle cuisinera avec une boite de petits pois en conserve de la marque Bonduel : et cela lui suffit, elle est heureuse. Cet homme : il est 7H55 et court pour attraper son métro de 7H58 avec ses chaussures en cuir, son imperméable beige. Il a avec lui sa petite sacoche noire et ses petites lunettes sur le nez. Il travaillera jusqu’à 18H40 avant de retrouvez sa femme et ses enfants, Nathan et Stéphanie. Et cela lui suffit. Cette fille : elle monte dans le bus avec sa paire de bottes et son manteau blanc. Elle est maquillée, rouge à lèvre prune clair et blush sur les joues. Elle est jolie et cela lui suffit. Ce type : il a des dreadlocks, fume de l’herbe et possède une démarche nonchalante. Il dit à son pote « Salut, ça va ? » « Ouais tranquille et toi ? » « Cool …» Et çà lui suffit…
Eh bien moi, tout cela, cela ne me suffit pas. La vie, je me refuse à croire que ce n’est que çà, cela doit être chose. Si dans 10 ans, je relis ce texte et que je me reconnais ne serait-ce que dans un seul de ces misérables portraits, je m’engage à m’acheter une corde à Leroy Merlin et à me pendre dans la cave ! Jamais je n’espère devenir le Lester Burnham d’American Beauty qui prend un jour conscience que la vie qu’il mène le dégoûte finalement.
S’il te plaît, toi qui a écrit ce texte, pourvu que cela n’arrive jamais !